Des hétéros dans la salle d’attente – et on se dit: même pièce, réalités opposées
L’autre jour, dans la salle d’attente de mon psy. Comme il prend son temps, je fais semblant de m’intéresser passionnément à un vieux GEO Edition spéciale sur l’intelligence artificielle.
En vrai, soyons honnêtes, je fais ce que tout le monde fait : Je scrute les autres comme dans un casting de télé-réalité et j’essaie de deviner leurs histoires.
Je veux dire : Je suis gay. ça suffit déjà à remplir la moitié de mon dossier médical. Mais ce mec en face de moi, typique hétéro qui a l’air d’un conseiller en assurance en pleine quête d’équilibre vie pro/vie perso, en train de feuilleter nerveusement un magazine... c’est quoi, son truc ? Est-ce qu’il a aussi pleuré quand Bambi est mort ? u il vient de capter que son fils préfère danser plutôt que marquer des buts – et maintenant sa femme (big up à elle !) veut qu’il affronte ses préjugés ? Qu’est-ce qui pousse un hétéro comme lui à venir ici ? Un truc qui ne se répare pas avec « un peu de foi et un rouleau de scotch » (Sister Act II, c’était après Bambi, mais j’ai pleuré aussi).
Bon, ok, c’était un peu cynique. Et oui, la santé mentale, ça concerne tout le monde. ça serait pas mal si plus d’hétéros allaient en thérapie. Mais en tant que chef de projet de la LGBTIQ Helpline, je le sais : la santé mentale a un genre et une orientation sexuelle.
Ce que je veux dire : il y a des différences claires entre les personnes hétéros et les personnes queer, entre les personnes cis et trans. Et ce n’est pas « juste » une question de taux de suicide bien plus élevés chez les jeunes personnes LGBTIQ. Le stress minoritaire, cette charge psychique liée au rejet, à l’invisibilisation ou à la pression de devoir s’adapter, touche les personnes queer plus tôt, plus fort, plus souvent. C’est comme une ombre qui nous suit, même dans les moments où on se croit en sécurité.
À la LGBTIQ Helpline, on est confronté-e-x-s à ces ombres tous les jours : nos bénévoles reçoivent des témoignages de peur de faire son coming out, de rejet familial, de violences anti-queer, de solitude à la campagne, ou de pression due à des normes religieuses. Ce qu’on entend, ce n’est pas de la théorie. C’est la vraie vie. Et malgré tout ça, il y a aussi autre chose qu’on voit souvent : la résilience. Pas une espèce de super-pouvoir romantisé, mais un choix, chaque jour, de continuer. La résilience, ce n’est pas encaisser sans broncher. C’est apprendre à vivre avec la douleur, créer des espaces pour respirer, se relever, même quand le monde essaie encore et encore de nous écraser.
Mais cette résilience ne sort pas de nulle part. Elle grandit aussi grâce à des offres comme la LGBTIQ Helpline. Grâce à des conversations qui apportent du soutien, pas du jugement. Grâce à une oreille queer et bienveillante après une journée dans un monde hétéronormé. Grâce à cette certitude rassurante : quelqu’un me voit. Ces lieux ne sont pas un bonus. Ce sont des infrastructures de survie.
Et chaque fois que je suis assis dans cette salle d’attente, même si je préfère râler sur le look douteux d’un hétéro en crise de la quarantaine, j’y pense. Et encore plus depuis que je bosse à la Helpline : pour beaucoup de personnes queer, la santé mentale, ce n’est pas juste un sujet parmi d’autres. C’est une lutte quotidienne pour la dignité, la sécurité, le droit d’exister, tout simplement. Le gars en face de moi a peut-être du mal avec son fils. Les personnes qui nous écrivent, elles, ont parfois peur d’être elles-mêmes.
C’est là que notre travail commence. On n’a peut-être pas des cabinets de luxe. Mais on est là quand ça brûle. Et oui, pour toi aussi.
Texte: Milo Käser